Que pourrais-je écrire que l’on ne sache déjà ?
Que devrais-je dire que l’on n’ait déjà entendu ?
J’écoute ma voix baroque dans le miroir enflé de litanies sauvages.
Batteur battant aux appels de ma ville
rappeur frappeur à l’ivresse de mes tripes
je délire et je tangue au fatras de ma langue à roues cycloneuses.
Je dérape aux zigzags de mes mots à dentelles d’ouragan
mes paysages écrabouillés au tournoiement du vent
coïncidence et connivence
mes affres et mes balafres
mes joies et mes vertiges au tressaillement du masque
mon ombre écartelée d’oubli et d’épouvante.
Mes amours me reviennent amalgame d’utopie et de tendre
violence quand je mange mes silences.
Je m’envertige à contempler ma ville debout
hors des vestiges de l’ombre
entre pierre et poussière
entre l’or invisible et la boue des ténèbres
entre ordures et lumière
je nage inépuisable
je suis de Port-au-Prince
ma ville enfouraillée de nuits intarissables
ma ville schizophonique bavarde infatigable.
Je conjugue mon cauchemar et je module mon insomnie à
ma façon. Ma ville en moi. Au fond de moi. Dans ma tête.
Et dans mes tripes.
Ma ville déchue déraillée/débraillée
ma ville en chute baladeuse
ma ville mélange de crépuscule et d’aube
ma ville défloration et perdition
ma ville en dérangement perpétuel
ma ville en panne de tout
ma ville miracle au quotidien.
Ma ville folie sublime et pathétique toute flamboyante en
paradoxes déconcertants.
Et bien sûr ça fonctionne dans la graisse exceptionnelle du
chaos
ça pète de vie et d’énergie
ça roule dans le mystère
ça bouline dans les ténèbres
ça tourne dans l’immobilité du temps et l’inertie des gouffres
ça brûle ça boule ça bouleboule ça bouge ça danse ça piaffe
ça grogne ça hurle ça jazze ça grage ça rappe intensément
quand j’auditionne au-delà de mes fenêtres dévergondées
l’âcreté des nuits sanglantes et l’âpre diction des pluies
métissées de vents fous.
Frankétienne, « Je m’envertige », Anthologie secrète, Mémoire d’encrier, Montréal, 2005.